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Channel: contrejournal.blogs.liberation.fr - Actualités pour la catégorie : Sans-papiers
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Chroniques de rétention: 48 heures et tout bascule

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Comme chaque semaine, voici le témoignage d’un intervenant en Centre de rétention administrative de la Cimade. Interpellé à l’hôpital, Monsieur Kanda va être embarqué pour la République Démocratique du  Congo, lui qui est... angolais.

«Comme beaucoup d’étrangers diplômés, Monsieur Kanda, arrivé en France en 2000, travaille de nuit comme manutentionnaire. Le 18 mars au soir, il reçoit au appel de sa compagne. Mlle Lema est en train d’être emmenée en garde à vue, avec ses deux jeunes enfants, car elle aurait frappé son aînée, Christelle* . Il se rend à l’hôpital où elle a été transportée. Ce n’est pas vraiment son père, ni celui de Maxence, mais il s’occupe d’eux quasiment depuis leur naissance. C’est lui qui fait le lien avec les médecins qui suivent Maxence, atteint d’un handicap. C’est lui que Maxence et Christelle appellent Papa. Avec Mlle Lema, il reconstruit sa vie familiale. Ils ont eu un enfant ensemble, âgé de 20 mois.

A son arrivée à l’hôpital, M. Kanda reçoit un appel des policiers de Lagny qui lui demandent de venir chercher Maxence et son fils, puisque la maman est en garde à vue. Il refuse de laisser Christelle seule, d’autant que les urgences sont d’accord pour la laisser sortir, voyant que M. Kanda saura s’en occuper. Les policiers arrivent alors à l’hôpital pour y interpeller M. Kanda. Il est en situation irrégulière et fait déjà l’objet d’une décision de reconduite à la frontière (APRF). Il n’aurait pourtant jamais imaginé qu’en allant à l’hôpital, il pourrait y être arrêté. Le personnel médical non plus. Malgré leurs protestations, à la fois contre ce procédé, et contre le fait que les policiers les obligent en conséquence à garder une patiente alors qu’elle pouvait tout à fait sortir, M. Kanda est emmené au commissariat de Lagny. Il y retrouve Maxence et le petit dernier, de 23h à 2h du matin. Les enfants sont en pleurs, ils veulent rentrer chez eux avec leur papa, mais les policiers continuent la procédure, exécutent les ordres, froidement.

Ils cherchent un endroit où placer les enfants, puisqu’ils ont décidé de mettre M. Kanda en garde à vue. La famille ne peut pas les prendre en charge. Encore une fois, c’est l’hôpital qui sera mis à contribution. Même s’ils ne sont pas malades, juste choqués par cette soirée où on leur enlève leur mère puis leur père, les enfants sont emmenés en pédiatrie à l’hôpital de Lagny. M. Kanda peut enfin être mis en cellule. Le 19 mars, en fin d’après-midi, il est placé en rétention par la préfecture de Seine-et-Marne, qui veut mettre à exécution l’APRF sans tarder. Nous le rencontrons le surlendemain au centre de rétention du Mesnil-Amelot. Choqués par les conditions d’interpellation, nous l’aidons à préparer sa défense devant le juge des libertés et de la détention, devant lequel il devrait comparaître le lendemain. Ce juge ne statue pas sur le fond de la situation, mais simplement sur la procédure, notamment les conditions de l’interpellation. Logiquement, il devrait annuler la procédure, d’autres avant lui ont reconnu que ce type d’interpellation était «déloyale».

M. Kanda ne verra pas ce juge, il est embarqué le 21 mars, au petit matin, vêtu de ce qu’il avait sur lui lors de l’interpellation, sans le sou. On l’emmène au Congo. Au Congo? Alors qu’il est Angolais! Lorsqu’il avait été arrêté pour défaut de papiers en mai 2008, lorsqu’il avait eu cet APRF, le consulat du Congo avait établi un laissez-passer, valable un an. M. Kanda avait effectivement obtenu la nationalité congolaise en France, du fait qu’il était père d’un enfant dont la maman est congolaise, mais il n’y a absolument aucune attache. Qui pourra l’y accueillir après cette expulsion précipitée? A son arrivée à Kinshasa, les autorités congolaises refusent de le reconnaître. Ils ne le laissent pas entrer et le remettent dans l’avion pour la France.

La police le met alors en garde à vue, la préfecture veut le faire juger. Mais pour quel motif? Le refus d’embarquement est certes un délit, le refus de coopération en vue de son identification aussi, mais M. Kanda n’a commis aucun de ces délits! Il est finalement libéré, il n’y aura pas de poursuites. M. Kanda peut enfin rentrer chez lui, serrer sa compagne et ses enfants dans ses bras. Il reste très choqué de ce qu’il a vécu en l’espace de 48 heures: interpellation à l’hôpital, placement en garde à vue puis en rétention. Ce n’est pas quelque chose d’anodin pour cet homme discret qui n’avait jamais eu affaire avec la police. 4 ou 5 fouilles à corps, et surtout, la perspective de perdre tout contact avec sa compagne et ses enfants, ce qui remue le traumatisme de ce qu’il a vécu en fuyant l’Angola. Après l’assassinat de sa compagne sous ses yeux, et la disparition de leurs 4 enfants, il ne pensait pas qu’il arriverait à fonder à nouveau une famille. Désormais, il vit terré chez lui, dans la crainte d’y être interpellé. Il attend que cet APRF devienne caduc, pour tenter ensuite d’obtenir un titre de séjour.»

*Les prénoms des enfants ont été changés.


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